
Hello toi, hello 2017 et tous les voeux qui sont de mise, même si je suis nulle pour les adresser en bonne et due forme.
Je me demandais si j’allais faire un bilan de 2016. Faut-il nécessairement faire un bilan (calmement… ahah pardon) ?
2016 a été d’une fulgurance à laquelle je ne m’étais pas attendue. Je suis partie, comme ça, à l’arrache, direction Bruxelles et son lot d’incertitudes. Un cri du coeur pour cette ville qui me séduisait depuis un moment, l’espoir d’y nourrir ma curiosité et de m’y créer un nouveau cocon douillet pour créer. Je me suis collé une pression assez folle. Je n’ai pas voulu que tous ces changements impactent directement mon travail, et j’espérais retrouver mon bureau en deux temps, trois mouvements, comme si de rien n’était.
L’insécurité émotionnelle me fait perdre pied. Incapable d’être moi-même la voix rassurante, je me noie dans les millions de mots qui jonchent le sol de ma pensée, qui font pression sur les parois de ma boite crânienne de façon parfaitement anarchique, comme s’ils étaient menacés par un terrible présage. Et c’est la bousculade. L’immersion. Alors, pour garder la tête hors des flots de mes émotions, j’agrippe et me hisse sur des certitudes, me repose sur celles-ci sans m’apercevoir qu’elles ne supportent pas toujours le poids de la peur, celle de me noyer.
2016, je l’ai passée sur un radeau de fortune, apercevant au loin mes aspirations, en me laissant flotter au hasard plutôt qu’en ramant tant bien que mal vers la terre ferme. Tu sais, comme si j’allais pouvoir m’endormir sur le bois humide et me réveiller plus tard sur le sable chaud et rassurant, à la manière d’un scénario Disney.
Ca a commencé à faire tilt quand je me suis retrouvée confrontée à des questions auxquelles je ne savais tout bonnement pas quoi répondre, et qui me faisaient toujours me demander ce que je foutais là. Et puis les conseils qui partent d’une bonne intention, qui sont de super idées mais qui sonnent creux lorsque je les matérialise rapidement dans ma tête. Et parfois la réaction interprétée comme celle d’une gamine capricieuse et prétentieuse lorsque je réponds que j’ai juste pas envie, c’est tout. Et les autres de me répondre que c’est tant pis pour moi, sous entendant parfois que je ne pourrai pas avancer en restant figée dans mes convictions. La fameuse « C’est bien beau tout ça, mais tu payes comment tes factures ? » Et moi de penser alors, seule sur mon radeau de fortune, qu’ils ont peut-être raison.
Le problème, c’est que les échos extérieurs ont une vision bien précise de ce que je suis et de mon travail. Je suis « Créatrice de bijoux« , bien rangée dans une boite, et je fonctionne donc comme toute créatrice de bijoux qui se respecte, à part que je fais la chieuse et que je tiens dur comme fer à mes pièces uniques. Je déborde allègrement de la boite, mais on tente malgré tout de la fermer. Allons-y pour l’annuaire des créateurs, allons-y pour les discussions entre créateurs concernant tel ou tel événement, allons-y pour les remarques que je trouve étranges et allons-y pour le flot de questions qui me paraissent on ne peut plus banales et naturelles pour quiconque mais me font me sentir nulle à chier.
Tu fais quoi comme métier ?
J’imagine, je brode et je vends des bijoux , je fais des photos, j’écris, je lis, je découvre, je synthétise, j’admire, j’échange.
Donc t’es créatrice de bijoux ? Oui, j’imagine, enfin …Je sais pas.
T’as des revendeurs ?Non.
Pourquoi ? Je sais pas, c’est compliqué.
C’est quoi tes prix pro ? J’en ai pas.
Sérieux ?Oui.
Tu fais quels salons pro ?J’en fais pas.
Pourquoi ?Parce que je fais des pièces uniques.
Et pourquoi t’as pas rappelé la nana de cette boutique ?Parce qu’elle m’a parlé comme une merde et que je n’ai pas envie de bosser avec des gens qui manquent d’éducation.
C’est con. Non, c’est honnête.
Et voilà le travail. On me donne l’impression que je ne sais pas . Mais, si, je sais. Je sais que je ne me reconnais pas dans tout ce qui se rattache à l’image que l’on se forge d’un créateur . Je sais que ça ne me parle pas, que lorsque je m’imagine en train de bosser toute la nuit pour fournir 10 paires de Mini Earrings à une boutique, ça me fait flipper.
Peut-être que je fais trop de chichis, certains me diront qu’il faudrait bien savoir ce que je veux, mais en fait, je n’ai jamais spécialement voulu ça. Ca n’a rien à voir avec une question de succès ou de notoriété, ni même avec un sentiment d’aigreur de voir les autres développer leur marque . Si tu me connais bien tu sais à quel point je me réjouis pour tout le monde et que l’envie est un sentiment qui me débecte.
Ca a surtout à voir avec les valeurs que je défends et auxquelles je crois. Est-ce que j’ai envie de fabriquer 15 paires de Mini Earrings à la chaine en mode robot parce que c’est ce qui « marche le mieux » ? Parce que c’est ce qu’on aura pu apercevoir sur un blog et que tout le monde trouvera que c’est le modèle le plus à la mode ? Non.
Pourquoi ? Parce qu’alors que m’attèle à broder 15 paires de Mini Earrings à la suite, je ne fais rien d’autre. Les idées qui frappent à la porte de mon imaginaire se font chier dans leur coin, et les étincelles de folie finissent par s’en aller voir ailleurs si j’y suis. Ca rime à quoi, de faire des pièces uniques et de se retrouver à broder 20 fois la même chose tous les mois ?
Ca rime à quoi de te dire que j’ai envie que tu fonctionnes au coup de coeur, que tu attendes le bon modèle si tu sais pertinemment que je vais produire un équivalent le mois prochain, un équivalent que j’aurai confectionné sans vraiment réfléchir, par sécurité, par confort, parce que j’ai trop écouté ce qu’on attendait de moi, parce que je me suis laissée surprendre par l’encadrement, que je me suis laissée convaincre de me recroqueviller dans la boite « Créatrice de bijoux« , avec un mode d’emploi attaché à l’étiquette ?

Quand j’ai créé Dissident Sheep, je ne me suis jamais demandé ce que j’avais créé. Je concevais des bijoux, des pièces uniques. Et puis ensuite, on a commencé à me dire que je faisais de la Haute-Couture. Quand t’as zéro confiance en toi et que tu viens de commencer doucement à te jeter dans la gueule du loup, tu trouve que c’est la classe internationale. Tu te fous la pression, parce qu’il ne faut pas déconner avec la Haute Couture, celle-là même qui te fait rêver depuis des lustres. Alors tu dois épurer ton stand, parce que chez Chanel ou chez Dior, ça ne se fait pas de balancer une cargaison de paillettes sur une nappe à pois pour y exposer des bijoux brodés à la main. Et puis il faut parler avec classe, il faut vendre du rêve. Il faut, il faut, et encore il faut. Et puis quoi ? Et puis je me perds. Une fois. Je me réveille et je reprends tout depuis le début. Je suis Jeanne, je ne me cache plus, je suis autodidacte et je fais des bijoux uniques pour sublimer des personnalités qui ont envie d’être sublimées. Cela implique une connaissance de soi, une ouverture, même minime, à son essentiel, et ça n’a strictement rien à voir avec une tendance ou une mode, ni même avec une distribution. Adieu le concept de collections, les FW16 ou SS17 qui font très pro chez les autres mais qui sonnent totalement WTF chez moi, parce que ce n’est pas comme cela que j’ai envie de travailler. Je me remets en question, tout le temps, et j’avance comme je l’entends. Ca, c’était en 2015.
Et puis en 2016 ? Le flou, la pression qui revient au galop, celle de rentrer dans cette putain de case dans laquelle j’étouffe. Celle de la création tout court. Je ne l’avais pas trop ressenti en 2015, qu’en fait, c’était carrément ça qui ne collait pas.

Je sais que je suis capable de t’envoyer un maximum d’énergie positive et de concevoir des choses qui hurlent un grand OUI du fond des tripes. Mais là tout de suite, en l’état actuel des choses, ce n’est plus possible. J’ai besoin de dire stop à certaines choses, de modifier ma façon de faire pour continuer à te communiquer des morceaux de rêve sans interférences, sans négatif, sans me mettre dans des situations foireuses liées à un étiquetage forcé. J’ai pas envie d’avoir un label, qu’on m’attribue un adjectif. Je m’en contrefous qu’on me reconnaisse comme une créatrice, une artiste, une brodeuse ou je ne sais quoi d’autre. Qu’est-ce que ça peut bien foutre ? Est-ce que ça change quelque chose ?
Je t’avais prévenu(e) que ce serait long et bordélique, et j’ai en plus de ça l’impression de n’avoir trop rien expliqué de pertinent. Mais j’avais envie de te faire part de toutes ces réflexions.